Lecture constitutionnelle du Brexit : deux erreurs ne font pas une union
Chibli Mallat – 28 Juin 2016
Que le lecteur citoyen désemparé par le référendum historique du jeudi 23 juin 2016, après l'avoir été par la crise grecque, se rassure de son désarroi. Westminster a tout faux. Bruxelles a tout faux. On lui a servi un jeu faussé, et ça continuera pour un bon moment. Dans « tout faux », la double erreur est constitutionnelle, et non politique ou économique, parce qu'une Constitution est là précisément pour que les politiciens et les économistes, ainsi que les marchés politiques et économiques, louvoient et fluctuent sans que le navire ne sombre. Or la « Constitution » britannique comme la « Constitution » européenne ont échoué dans la tragédie grecque de l'an passé, qui continue, et dans le drame Brexit qui se lève à peine sur l'Europe et qui se poursuivra encore longtemps.
En un retour rapide sur l'impasse grecque, la crise a eu lieu à cause de l'absence dans la « Constitution » européenne d'une clause sur un exit de l'euro. On se souvient que la France et les Pays-Bas avaient rejeté par référendum le passage de la Constitution adoptée en 2004 par la Convention européenne présidée par Valéry Giscard d'Estaing, rejet que Nicolas Sarkozy et son homologue hollandais avaient contourné par une modification législative des traités. C'est ce que nous avons dans le traité de Lisbonne, effectif depuis 2009.
Dans une Europe devenue à géométrie variable depuis le traité de Schengen, une lacune et un trop-plein sont au centre d'un mauvais génie constitutionnel. La lacune explique le drame grec. Des critères relativement précis permettent l'accès à la zone euro, mais dans leur hubris expansive, les «constitutionnalistes» européens n'ont pas organisé la sortie de l'Euro lorsque ces critères sont bafoués à l'excès, comme en Grèce après son entrée dans le système.
Le trop-plein dans la refonte de la «Constitution», par contre, était le droit à la sortie de l'Union établi dans un nouvel article lapidaire, l'article 60 de la Constitution devenu article 50 du traité de Lisbonne. Les sages de la Constitution ne se sont pas rendu compte de l'énormité de la sortie d'un État important pour les institutions européennes, et sa logique infernale de spirale sécessionniste dont on voit les prodromes en Écosse et en Catalogne, alors qu'on en sait les conséquences meurtrières dans l'ex-Yougoslavie, l'ex-URSS et l'ex-Soudan. «Non à la sécession», cent cinquante ans après la guerre civile américaine, est un principe de survie de l'ordre mondial, en Europe autant qu'au Moyen-Orient et ailleurs. Mais non, les génies derrière l'article 50 ont joué à l'apprenti sorcier, alors qu'ils avaient complètement mis de côté la discipline nécessaire à la zone euro. Ils ont eu tout faux.
La semaine passée, une autre grande bévue constitutionnelle a ouvert la brèche d'un désordre euro-mondial. Cette fois, la faute principale est à la «Constitution» de Westminster, un amas de lois fragmentaires et de pratiques coutumières en l'absence d'un texte écrit. La conjonction des impasses du système constitutionnel britannique, avec la fausseté de principe de l'article 50, est à l'origine du désarroi Brexit. Non seulement la clause de sortie de l'Union conduit-elle au délitement forcé de l'Union, mais elle est mal rédigée, permettant à «tout État membre de se retirer de l'Union... conformément à ses règles constitutionnelles». Or la «Constitution» Westminster, brinquebalante par sa généalogie historique, fausse le jeu occasionné par le référendum. Il était en effet intenable pour un Premier ministre opposé au Brexit de rester au pouvoir en cas d'échec de « son » référendum.
Exit donc David Cameron avec le Brexit. Mais qui va appliquer «les règles constitutionnelles» britanniques de l'article 50 pour la sortie de la Grande-Bretagne? Il faut bien un gouvernement qui en soit convaincu. Seul un gouvernement pro-Brexit, donc persuadé de la légitimité du Brexit comme essentielle à son programme, peut faire cette négociation sans agir contre ses propres convictions. Encore lui faut-il une majorité parlementaire en faveur de la sortie. Selon un recensement de la BBC à la veille du référendum, 185 MP conservateurs et 218 MP travaillistes sont pro-Union contre 135 MP conservateurs et seulement 10 MP au Labour qui soutiennent le Brexit.
Il faut donc des élections nationales qui portent au pouvoir un gouvernement pro-Brexit avec une majorité parlementaire solide pour négocier de bonne foi l'application de l'article 50. Ils appellent ça à Westminster une « snap election ».
Deux négations ne font pas une nation, encore moins l'union d'un continent. Le lecteur désemparé, comme les citoyens britanniques et européens, peut au travers de ces bévues constitutionnelles mieux comprendre son désarroi.
Mais il peut apercevoir une petite lueur d'avenir. Après la démission de Cameron et maintenant la mise en cause d'un chef d'opposition travailliste également laminé par le vote en faveur du Brexit d'un grand nombre des «constituents» travaillistes, alors qu'il s'affiche pro-européen, les élections nationales deviennent nécessaires pour sortir de l'ornière. La question de l'Europe sera forcément l'enjeu central de ces élections. Mais si l'élection donne une majorité de parlementaires qui veulent rester en Europe, comme c'est le cas aujourd'hui, il devient impossible de mettre les résultats du référendum du 23 juin en application. Le suffrage universel aura alors effacé le désarroi causé par le référendum.