Mallat on the passing of Architect Pierre Neema: Disparition d’un bâtisseur
Disparition d’un bâtisseur
05/06/2015
Un grand architecte nous a quittés. Une longue amitié avec ses enfants, qui sont de ma génération, s'est transformée ces derniers mois par un rapport spécial avec lui, à un moment où sa vie de bâtisseur contraste tant avec la folie destructrice qui nous entoure. Modeste mais déterminé, Pierre Neema avait un franc-parler, et un franc-écrire, qui surprend dans notre monde tapissé de salamalecs et courtoisies à la limite de la sournoiserie. On peut lire sa franchise musclée dans l'ouvrage qu'il nous a laissé sur sa lecture engageante de la Bible, avec des relents spinoziens sur la dimension tant humaine des écrits sacrés et révélations divines. Mais c'est dans son souffle d'architecte que j'ai découvert, tard, la contribution spéciale qu'il a laissée alentour notre quotidien. Dans une conférence à l'Alba, qui a su l'apprécier, au printemps passé, le respect de trois générations d'architectes libanais dans l'audience m'a révélé l'impact du maître.
Des dizaines d'immeubles au Liban et dans la région portent sa marque franche. Je ne saurais facilement décrire cette marque, mais voici une expression d'amateur sur trois caractéristiques.
Fonctionnalité de bon sens d'abord. Une architecture visuelle qui ankylose son habitant est une mauvaise architecture. Gaudi est beau, mais qui veut, qui souhaite vraiment habiter un Gaudi ? Ou dans le franc-parler de Pierre Neema, un Nouvel ou un Hadid ? Voyez par contraste l'immeuble au coin Pierre Neema à Tabaris, et l'extraordinaire fonctionnalité si diverse, des jardins, du restaurant, des bureaux, le tout dans un mélange qui ne laisse indifférent aucun passant.
Variété. Suprenante par sa variété, l'architecture Neema. À Tyr, à l'occasion d'une visite à la Fondation Sadr, qui regroupe écoles, orphelinats et activités de charité institutionnelle, qui rayonne du Liban jusqu'à Detroit, je m'émerveillais de la variété artistique de ce croisement d'activités multiples au centre duquel se trouve un bâtiment spécial. Là encore, qui l'aurait dit ? La griffe Pierre Neema.
Esthétique. Une fois le bon sens fonctionnel d'habitabilité et la variété remarquable qui rend difficile de dire, à fleur de peau, c'est un immeuble Neema, il faut encore rendre hommage à la beauté. À la conférence de l'Alba, l'audience pouvait découvrir la projection de dizaines de constructions depuis les années 50 qui portent la marque de son génie. Et Neema, soucieux d'avenir, a laissé plusieurs ouvrages, le dernier publié cette année, avec des commentaires. On étudiera longtemps la tradition architecturale laissée par Pierre Neema, et pas seulement au Liban.
Né en Égypte, Pierre Neema a toujours apprécié l'hospitalité ouverte que notre pays lui avait accordée et qu'il associait avec la philosophie du mérite caractéristique de la présidence de Fouad Chehab. En ces temps d'ignorance redoublée de violence, la vie d'un grand architecte répond par des salves d'avenir.