Pendant ce temps, en Israël-Palestine...

 

Pendant ce temps, en Israël-Palestine...

Chibli Mallat, 24 Jan 2017

(PDF version) À peine une trace dans la presse internationale, et pourtant l'événement est terrifiant. Le leader maintenant historique de la population arabe palestinienne en Israël, le chef de la troisième faction parlementaire à la Knesset, Ayman Odeh ('Awdeh), a été blessé au visage et au dos par les tirs de la police israélienne contre les manifestants du village de Umm al-Hiran, mercredi dernier.

Odeh n'est pas n'importe qui. Pour la première fois dans l'histoire d'Israël, il avait réussi à rassembler la communauté arabe en une liste unique, y compris un député juif comme symbole de son ouverture. Si le scrutin avait été représentatif, elle aurait remporté 22 ou 23 députés à la Knesset, ou plus, dans la mesure où des juifs israéliens sont inclus dans une stratégie éclairée. On voit le potentiel de son leadership national à la tête d'un gouvernement.


Mieux encore, l'avocat Odeh est un homme au calibre intellectuellement impressionnant : plus ouvert que son grand prédécesseur Azmeh Bichara, qui avait été harassé par les gouvernements israéliens successifs jusqu'à l'obliger à quitter le pays, il est surtout ouvertement acquis à la non-violence comme philosophie du changement et à des valeurs universelles qui ont porté le rédacteur en chef du plus prestigieux magazine américain à lui consacrer un long profil il y a juste un an (David Remnick, « A Palestinian Israeli Leader for Peace», The New Yorker, 25 janvier 2016).


Ce 18 janvier 2017, la police israélienne n'avait pas hésité, encore une fois, à utiliser la violence pour mater les manifestants. Bien entendu, la version « arabe » est tout de suite rejetée comme tendancieuse par le gouvernement, qui avance sans vergogne aucune que ce sont les manifestants arabes qui ont lancé des pierres contre leur propre dirigeant. Le mode de violence policière est systématique. Contre un gosse qui manifeste, la police, abritée derrière ses boucliers, tire pour tuer. Il y a eu plus de 110 civils tués en 2016 sous ses balles, le tiers parmi eux étant des mineurs. Chaque semaine donc, plus de deux fois en moyenne, un manifestant palestinien est assassiné (il n'y a pas d'autre terme) par l'occupant. Je dis bien occupant, car le cabinet monochrome d'Israël ne peut être que l'occupant d'un pays où plus d'un cinquième des citoyens n'y est pas représenté. Un ami juif israélien, avocat de renom, m'a confié récemment qu'il devenait de plus en plus convaincu de la thèse que j'avance comme juriste depuis une quinzaine d'années, à savoir qu'Israël n'est pas une démocratie et ne l'a jamais été. Un État ne peut être démocratique s'il pratique une politique de discrimination ouvertement contre une population sous son contrôle, comme l'ont fait systématiquement depuis 1948 tous les gouvernements de l'État d'Israël.


En d'autres temps, le cas Ayman Odeh aurait dominé les nouvelles des semaines durant. Imaginez Martin Luther King semblablement assailli et blessé par la police américaine. La comparaison n'est pas excessive. Les Noirs américains constituent un huitième de la population, en proportion presque deux fois moins que les Arabes palestiniens citoyens d'Israël. Si l'on compte ceux des territoires occupés en 1967, ou les réfugiés, les humains dont la vie dépend directement de la gouvernance israélienne sont une majorité massive de la population d'Israël-Palestine.
À Ayman Odeh manque un soutien arabe ouvert, et je ne parle pas seulement des gouvernements pour lesquels le personnage représente un danger comme symbole d'ouverture, de démocratie et de non-violence. Nous-mêmes, dans cette société civile amorphe, où en sommes-nous de nos amitiés et de notre solidarité avec l'avenir que nous souhaitons en Israël-Palestine ?
Lorsqu'on a la chance, au Moyen-Orient, d'avoir un Ayman Odeh à la tête d'une autre configuration en Israël-Palestine, une scène comme celle de mercredi nous aurait forcés à tendre la perche par-delà les frontières, et on aurait depuis longtemps construit des ponts universels pour la démocratie dans ce pays occupé. Mais voilà, la révolution moyen-orientale de 2011 a produit une contre-révolution, et l'horreur est toujours relative. À voir les massacres en Syrie, en Irak, dans les deux Soudans, l'autoritarisme effréné en Turquie et en Égypte, il est difficile de se mobiliser pour l'injustice en Palestine.


Pendant ce temps, avec son peuple, Ayman Odeh continue sa longue traversée du désert. S'il persiste dans son message de non-violence, qui sait, un jour viendra où il captivera l'attention du monde comme le chef légitime de l'ensemble de la Palestine historique, y compris sa grande communauté juive. Communauté juive comme partenaire plutôt que comme vecteur d'oppression, d'occupation et de violence telle que Ayman Odeh l'a vécue dans sa chair la semaine passée.

 

 

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