Fédéralisme

Fédéralisme

Chibli Mallat, 21 Fev 2017

 (PDF versionL'enterrement des deux États, formule en mantra de la solution au problème palestinien, a eu lieu au sommet Trump-Netanyahu la semaine passée. Grand bien fasse au président américain et au Premier ministre israélien d'avoir enfin réagi à ce que la réalité coloniale force sur le terrain. Avec les territoires occupés en 1967 qui ressemblent à un fromage de gruyère, plus de cinq cent mille colons qui font pâlir d'envie leurs confrères blancs d'Afrique du Sud de l'époque bénie des colonies, on serait curieux de voir comment l'envolée lyrique d'Emmanuel Macron sur le colonialisme comme crime contre l'humanité se traduirait au sud de notre frontière. Ou Marine Le Pen, puisqu'elle se place maintenant, hélas, au même titre que les xénophobes nimbés de nationalisme décati, à la lisière du pouvoir dans l'Occident du XXIe siècle, et qu'elle vient précisément rendre visite à une ancienne colonie. Sûrement anticolonialiste, Marine Jean-Marie Le Pen, digne rejeton d'une tradition qui honnit le passé algérien de la France. Journalistes, merci de continuer à faire votre travail malgré l'annonce du président américain que vous êtes « l'ennemi du peuple » – et mes respects au passage pour l'éditorial puissant de Issa Goraieb de samedi dernier et pour le courage renouvelé tous les jours de nos collègues à la télé al-Jadid et à Charlie Hebdo.

Sus à l'infâme. M. Macron, Mme Le Pen, qu'allez-vous faire contre le colonialisme israélien qui persiste et signe tous les jours son crime contre l'humanité ? Contre les crimes contre l'humanité de la dictature syrienne ? Hélas, maintenant que la politique n'est plus chose sérieuse, et que les bouffons tous azimuts doublés d'une criminalité politique active (Netanyahu, Duterte, Poutine) ou en embuscade (@realDonaldTrump, @Le Pen) peuvent dire ce qu'ils veulent sans rendre compte à quiconque, nous autres citoyens, encore convaincus que le mot est important, que la parole engage et que la vérité existe et qu'elle est supérieure au mensonge, nous autres qui avons travaillé des années pour rendre notre connaissance du monde plus adéquate, et qui continuons à trimer pour que nos enfants aient la meilleure éducation possible, parce que l'éducation est la voie royale vers la vérité, nous n'avons qu'à plier bagage en attendant des jours meilleurs. Heureusement qu'il reste l'humour. « Soyons sérieux disons le mot. C'est même plus un cerveau. C'est comm' de la sauce blanche. » Dans La java des bombes atomiques, Boris Vian chantait ce passage qui dépeint l'état des cerveaux au pouvoir dans l'ère trumpiste. À quoi sert l'analyse quand le mot ne compte pas, que la parole n'engage plus et que vérités et « fake news » sont au même diapason ? Mais que voulez-vous, on a beau chasser le naturel, il revient au galop. Il est des gens sérieux, qui traitent de sujet sérieux et qui bossent sérieusement dessus. Par exemple sur le fédéralisme comme avenir des États au Moyen-Orient, y compris en Israël-Palestine. Tenez, pas plus tard que jeudi dernier, conférence sur « Le fédéralisme au Moyen-Orient » à l'université de Stanford, crème de la crème des politologues et juristes américains réunis autour de Ben Wittes et Mila Versteeg. Sujet sérieux le fédéralisme, il a permis aux États d'Amérique de s'unir en 1787 et dote l'Allemagne post-nazie et post-soviétique d'une charpente constitutionnelle qui fonctionne remarquablement bien. Au moment où la solution à deux États dans le conflit le plus long de l'histoire moderne est officiellement enterrée par les dirigeants de l'Amérique et d'Israël, le fédéralisme devrait soudainement apparaître dans toute sa splendeur architectonique comme l'avenir chantant d'une paix introuvable depuis plus d'un siècle.
Eh bien, Francis Fukuyama avait beau faire partie du petit cercle visionnaire du colloque de Stanford, la fin de l'histoire ne semblait pas plus proche en Palestine ce soir-là (heure de Beyrouth). Patience et humour. Pour 2030, avec un peu de chance sans guerre mondiale, lorsque la politique sera de nouveau possible dans une rationalité minimale, le dernier mot appartiendra peut-être à une réflexion qui remonte à 1930. Elle est d'un personnage tristement sérieux de l'histoire de cette région : « Le gouvernement en Palestine doit assurer en permanence aux juifs et aux Arabes la possibilité d'un développement sans obstacle et une indépendance nationale complète, de manière à prévenir toute domination des juifs par les Arabes et des Arabes par les juifs. Ce régime doit encourager le rapprochement, l'accord et la coopération entre le peuple juif et les Arabes en Palestine... (Ce sera) un État fédéral, formant une alliance de cantons, certains avec les juifs en majorité, d'autres avec les Arabes ; autonomie nationale pour chaque peuple, avec autorité exclusive en matière d'éducation, de culture et de langage ; affaires religieuses sous contrôle de congrégations religieuses autonomes organisées en corps législatifs libres ; le pouvoir le plus haut dans l'État étant le conseil fédéral, qui consiste en deux chambres – (a) l'une représentant les nationalités, et dans laquelle les juifs et les Arabes ont une représentation égale ; (b) l'autre dans laquelle les représentants des cantons participent en proportion de leurs populations respectives. Toute loi fédérale et tout changement dans la Constitution fédérale ne seront mis en vigueur qu'avec l'accord des deux chambres. » C'était de David Ben Gourion, cité en 1975 par Noam Chomsky.

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