Précipice électoral
Chibli Mallat, 25 Avril 2017
(PDF version) Nous sommes de nouveau au bord du précipice. Comme prévu. C'est la troisième échéance du blocage constitutionnel dans notre République meurtrie. La première était celle du vide présidentiel, qui a duré plus de deux ans. La deuxième, celle de la formation interminable du gouvernement, qui a pris deux mois malgré l'élan de renouveau qu'a provoqué la fin de la vacance présidentielle. Nous sommes de nouveau bloqués, incapables de procéder à des élections législatives déjà ajournées par deux fois.
Pour sortir du blocage, la seule issue de secours est de revenir à la Constitution pour établir des positions de principe.
Position de principe 1 : Les élections périodiques dans une démocratie sont essentielles à la survie de la République. Les autorenouvellements antérieurs étaient inconstitutionnels. Il est malheureux que le Conseil constitutionnel les ait entérinés. Les députés ne peuvent s'autorenouveler. La Constitution ne permet pas le report des élections.
Position de principe 2 : Il n'est pas de vide constitutionnel en l'absence d'une nouvelle loi. La loi de 1960, quelles que soient ses tares, s'applique. Si les députés n'arrivent pas à se mettre d'accord sur une nouvelle loi par un consensus des blocs principaux, la loi actuelle a force de loi. Et, si le consensus des blocs principaux est irréalisable, rien n'empêche que les députés se réunissent et votent une nouvelle loi à la majorité. S'ils arrivent à le faire, la nouvelle loi s'applique. S'ils n'y parviennent pas, la loi actuelle s'applique. Ni l'une ni l'autre ne seraient, autrement, une loi. Ce n'est pas compliqué. Comme disait Ghassan Tuéni, mafhoum ?
Je n'aime pas particulièrement la loi de 1960. Elle est viciée par son confessionnalisme, et toutes les retouches qu'on peut y ajouter ne dépasseront pas cette structure maladive. Ceux qui avancent l'argument de la supériorité de la proportionnelle ou des deux niveaux d'élection, l'un intraconfessionnel, l'autre majoritaire – appelons-le intraconfessionnel pour simplifier –, sont peut-être bien intentionnés, mais ils ont tort.
Les deux réformes principales à la loi actuelle ignorent trois problèmes insurmontables : le premier est le carcan confessionnel, que la proportionnelle ne peut défaire, et que l'intracommunautaire rend encore plus rigide. Le deuxième problème est la structure des partis et factions au Liban. En l'absence de partis opérant au niveau national, la proportionnelle est vidée de sens. Quant à la proposition d'élections intracommunautaires, à supposer même qu'elle soit concevable juridiquement (à ma connaissance, aucun pays dans le monde ne l'a expérimentée), elle ne fait que durcir le prisme confessionnel qui nous étouffe déjà, sans compter la discrimination entre les votes et dans la représentation. La discrimination constitutionnelle entre les voix, que l'on retrouve également dans la proposition récente du Parti socialiste progressiste, complique le paysage électoral et ajoute un problème grave dans la bousculade actuelle. Un troisième problème, le plus difficile à ce stade, provient d'une évidence de circonstance : une nouvelle loi électorale est toujours une opération délicate, en amont et en aval. Voter une loi électorale à la va-vite est assurance de graves erreurs dans son libellé même. La réforme électorale la plus sérieuse, celle de la commission Boutros, avait pris des mois à aboutir, et, même si elle était votée aujourd'hui dans sa totalité, elle provoquerait des disputes interminables sur son application. Candidats et électeurs vont se crêper le chignon à chaque tournant d'interprétation.
La position de principe de la présidence, par opposition à celle des députés qui soutiennent l'extension inconstitutionnelle de leur mandat, est juste. Le Parlement ne peut s'autorenouveler. Il faut donc que les élections aient lieu, en temps constitutionnel prévu, avant la fin du mandat de la Chambre, le 20 juin. Là où la position du président mérite d'être corrigée, c'est dans l'argument vicié constitutionnellement, décrétant l'avènement d'un « vide » en l'absence d'une nouvelle loi électorale.
L'enthousiasme du président Michel Aoun pour un changement des termes fondamentaux de l'élection, qui rejoint l'appel du président de la Chambre pour l'instauration d'un Sénat, est le bienvenu dans la mesure où réforme et changement sont une demande évidente de citoyens fatigués par le carcan confessionnel et épuisés par une classe politique surannée. Ces réformes devraient être à l'ordre du jour d'un nouveau Parlement. Encore faut-il que les élections aient lieu.
Les positions du patriarche et du mufti annoncées en fin de semaine sont sages politiquement et justes constitutionnellement. Nous avons une loi électorale. Il faut l'appliquer.